
Il y a des mondes parallèles que la flamme d’un chalumeau sur le cadavre d’une bête nous fait découvrir.
Des hangars devenus villages verticaux de taules et de survie, à proximité de tours autrement verticales où le marché mondial rugit.
Des lieux ouverts et éternellement temporaires où on partage la colère et la joie, la bière et la foi ; et un cochon aussi, parfois.
Etape 1 : après avoir posé l’animal préalablement saigné sur une palette, brûler la surface de sa peau avec une flamme constante pour éliminer les poils et les poux et permettre à l’épiderme d’être enlevé plus facilement.
On y est comme on est, avec des fringues qui ont fait quatre fois le tour de la planète.
Pas de narcisse, pas d’étang. Juste un sol brunâtre où coule de l’eau mêlée de sang.
Etape 2 : gratter la peau avec un couteau ou la frotter avec une brosse à poils durs et nettoyer à grande eau pour enlever la fine couche carbonisée jusqu’à ce que le cochon retrouve une couleur claire.
On y vit ensemble avec pas grand-chose, en étant toujours frère, sœur, cousine ou cousin de quelqu’un d’autre.
La parole se prend par des cris répétés comme des coups de clairons, et se rend quand les derniers mots se sont perdus dans le boxon.
Etape 3 : mettre le cochon sur le dos et tandis qu’on lui tient les pattes pour le maintenir en position, l’ouvrir du bas du ventre à la mâchoire avec une petite hache, puis enlever les organes et les viscères, et nettoyer la carcasse à grande eau.
On y arbore des tatouages imprécis dont certains représentent des chars et laissent entrevoir une ancienne vie de soldat.
Des mélopées mélancoliques sont chantées dans un micro, des bières tombent au sol et leur mousse dégouline des goulots.
Etape 4 : couper le cochon en deux avec la hache à utiliser seule sur les parties les moins résistantes et avec l’appui d’un marteau sur les parties les plus dures - tête et colonne vertébrale - en posant la hache sur l’os et en tapant avec le marteau.
On y rit, on y danse et on s’y dispute simultanément.
Les gosses se chamaillent parfois et s’amusent souvent, ils récoltent des gifles ou de la tendresse sur les genoux des parents.
Etape 5 : découper à la hache et au couteau le cochon selon les différentes parties qui le composent : jambon, jarret et pied, filet, pointe de filet, queue, carré, échine, épaule, poitrine, filet mignon, travers, oreilles et tête.
On y découvre un monde dont on repart comme on y est venu, sur la pointe des pieds.
Mais un enfant vous demande pourquoi vous partez.
- Je rentre chez moi.
Un chez moi avec serrure, abonnement internet et copropriété ; dressing, albums de famille et papiers d’identité ; frigidaire, liste de courses, et viande sous vide désincarnée.
Le 22 septembre 2019